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"Agir pour l'eau",

une interview de Franck Barroso

FB Kenya

Le sujet n’est quasiment jamais évoqué mais la pénurie d’eau est l’une des plus grandes crises de notre temps. Pourtant des moyens d’action existent pour peu qu’on s’adresse aux bonnes structures. À travers cette interview, Franck Barroso, cofondateur de Waterpreneurs, une entreprise sociale spécialisée dans la question de l’eau, nous envoie un message clair : rendre le monde meilleur n’a rien d’une utopie. Derrière le choix de s'investir dans le problème de l'eau se cache une question bien plus complexe : jusqu'où sommes nous prêts à aller pour que nos actions soient alignées avec nos valeurs?

Bonjour Franck Barroso. Merci de nous accorder cette interview. Pouvez-vous vous présenter et nous dévoiler votre parcours professionnel ?

Merci à vous pour l’invitation.

Je suis le co-fondateur de Waterpreneurs, un accélérateur de solutions et d’impact répondant aux enjeux liés à l’utilisation et la gestion de la ressource en eau.

J’ai un parcours professionnel plutôt «classique» dans le sens ou après mes études en Economie et Gestion à Toulouse, je suis parti quelque temps à Londres pour améliorer mon anglais puis j’ai décidé d’y rester plus longtemps ou j’ai alors commencé à travailler en comptabilité. J’ai assez rapidement rejoint Nestlé (et la Suisse par la suite) ou j’ai occupé divers postes en tant que contrôleur de gestion. Après 10 ans au sein de cette multinationale j’ai ressenti un besoin important de faire un métier qui m’apporte plus de sens. J’étais particulièrement sensible aux nombreux enjeux environnementaux, et le concept d’entrepreneuriat social me semblait être un compromis idéal d’appliquer mon expertise business mais avec comme mission principale d’avoir un fort impact social ou environnemental.

 

Comment est née Waterpreneurs ? Comment s’est formée l’équipe dirigeante ?

C’est justement lors d’un évènement à Lausanne organisé par Ashoka (réseau d’entrepreneurs sociaux) en 2015 que j’ai rencontré mes 2 futurs associés, Brieux Michoud et Nicolas Lorne, qui étaient au tout début de ce projet de créer Waterpreneurs. L’idée de base était d’aider les ‘water’ entrepreneurs locaux à accélérer la croissance de leurs activités en les connectant avec des investisseurs ou autres clients. J’ai commencé à m’intéresser au secteur de l’eau. Je suis aussi parti en Amazonie ou j’ai vécu 3 semaines avec la tribu des Surui, ou j’ai vu de près leurs difficultés pour empêcher la déforestation. A mon retour, peu de temps après j’ai démissionné de mon poste (été 2016).

En Février 2017 nous avons officiellement incorporé Waterpreneurs au registre du commerce de Genève avec comme mission de contribuer à la résolution des problématiques soulevées par les 17 Objectifs du Développement Durable (ODD) avec comme point central l'ODD N°6 (Eau et Hygiène). Nous œuvrons à un dialogue et à apporter des solutions multi-acteurs (privés, publics, société civile...) autour des questions de droits humains, de sécurité et de paix dans le monde, à travers le développement d'entrepreneurs qui fournissent des services de bases aux populations les plus vulnérables, notamment via l'accès à l'eau potable.

"700 millions de personnes dans le monde n’ont toujours pas accès à l’eau potable et près de 2 milliards n’ont pas accès à l’assainissement."

Le choix de vous installer à Genève est-elle liée à une raison spécifique ?

Ce choix est stratégique car nous souhaitions être à la fois proches des Nations-Unies mais aussi des différents sièges des organismes de microfinance, banques ou autres fonds d’investissements. De plus, nous souhaitions avoir nos bureaux à l’Impact Hub (un réseau mondial de bureaux de coworking pour entrepreneurs sociaux) qui venait d’ouvrir des bureaux à Genève.

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En 2019, le président de l’ONG World Resources Institute affirmait que: « La pénurie en eau est la plus grande crise, dont personne ne parle». Que vous inspirent ces propos ?

Il est évident que les enjeux sont énormes. Aussi bien pour l’accès à l’eau et l’assainissement, 700 millions de personnes dans le monde n’ont toujours pas accès à l’eau potable et près de 2 milliards n’ont pas accès à l’assainissement. Chaque année, 3 575 000 personnes meurent de maladies liées à l'eau. 1 mort toutes les 10 secondes (majoritairement des enfants de 0 à 14 ans). La moitié des lits d'hôpitaux dans le monde sont occupés par des patients souffrant d'une maladie liée à l'eau. Des chiffres qui donnent le vertige et qui ne sont jamais évoqués par les médias, par exemple.

Pourtant les progrès sont vraiment réels dans ce domaine depuis plusieurs années. Mais les enjeux sont tellement importants que la ressource en eau devient de plus en plus forte dans de nombreuses régions du monde notamment dû à son utilisation pour l’agriculture (70% de l’eau utilisée dans le monde). L’agriculture contribue également à la pollution de l'eau en raison de l'excès de nutriments, de pesticides et d'autres polluants.

On peut aussi parler de problèmes liés à l'urbanisation, à l'industrialisation et bien évidemment au changement climatique (inondations, fonte des neiges, sécheresses) qui vont accroître la concurrence pour les ressources en eau.

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On s’inquiète généralement de la question de la pénurie d’eau mais ces dernières années, avec les inondations à grande échelle une nouvelle question se pose : celle de l’excès d’eau. Comment votre organisation fait face à cette situation ?

Cela montre que les problèmes liés à l’eau sont interconnectés avec de nombreux autres problèmes. On parle ici des modifications que l’être humain a imposé aux écosystèmes naturels pour satisfaire ses besoins. Un exemple frappant, que nous avons abordé lors de notre dernier évènement « Innovate 4 Water » à Lausanne et dans un documentaire sur le Rhône, est la 3ème correction du Rhône dans le Valais. Suite aux 2 premières corrections où l’on a endigué le Rhône, on s’aperçoit que lors de crues les dégâts sont importants. L’objectif est maintenant de rendre le cours du Rhône plus naturel avec notamment la présence de zones humides qui permettent d’atténuer l’impact des crues mais également de régénérer la biodiversité. On retrouve des enjeux similaires en Camargue que nous aborderons lors de notre prochain « Innovate 4 Water » à Arles le 17 mai. La fonte des glaciers, entraîne une élévation du niveau de l’eau et donc l’avancée de la mer sur les côtes avec pour conséquence aussi le sel qui dégrade les terres cultivables.

 

De manière concrète, quel est le profil des clients de Waterpreneurs et sur quelles sont les demandes les plus récurrentes ?

Nos clients à l’heure actuelle sont principalement des fondations, des ONGs, des agences de développements qui soutiennent notre rôle de renforcement de l’écosystème entrepreneurial mais aussi parfois des multinationales ou fonds d’investissement qui recherchent des innovations et des solutions concrètes pour répondre aux enjeux cités précédemment. Tous comprennent l’intérêt de collaborer et d’impliquer des petits et moyens opérateurs qui apportent par exemple des innovations et des solutions complémentaires à celles fournies par les grands opérateurs.

C’est ce que nous proposons lors de nos places de marché « Innovate 4 Water » qui est une plateforme pour présenter des solutions concrètes et trouver des synergies pour développer des collaborations.

Et, bien évidemment, nous avons beaucoup de demandes qui proviennent des start-ups, PMEs qui sont très souvent en recherche de financement ou de clients. Lors de nos évènements, nous leur donnons l’opportunité de gagner en visibilité vis-à-vis des investisseurs, clients ou autres partenaires potentiels.

A ce jour nous avons organisé une dizaine d’évènements à travers le monde (en Suisse, au Kenya, Nigeria, Zambie, Australie et en France) et sommes en discussion pour en organiser dans d’autres régions du monde (Amérique du Sud, Moyen Orient, Asie). Nous espérons aussi rapidement développer une plateforme digitale pour faciliter la mise en relation et la collaboration entre tous ces acteurs.

L’Europe est de plus en plus touchée par les questions liées à la gestion de l’eau alors qu’on les attribuait généralement aux pays pauvres, surtout à l’Afrique. Cela se ressent-il dans vos collaborations ?

Oui de plus en plus et notamment depuis le début de la crise Covid car nous avons focalisé notre action en Europe. Les problématiques sont différentes qu’en Afrique, il ne s’agit pas de fournir l’accès à l’eau potable ou l’assainissement car le réseau est déjà très bien développé. Mais les enjeux sont plutôt liés à la pollution plastique et micro plastique, liés notamment à l’utilisation de pesticides dans l’agriculture mais aussi la pollution due aux médicaments, produits lessives, excès d’azote ou de phosphore.

Cette pollution a un impact important sur la biodiversité (végétale et animale). La diminution de la biodiversité est aussi un enjeu crucial et nous travaillons avec des partenaires pour créer une plateforme afin d’évaluer et accélérer des solutions qui protègent ou régénèrent la biodiversité.

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Y a-t-il des difficultés auxquelles vous devez régulièrement faire face dans votre travail ?

Bien évidemment, nous sommes également une start-up et faisons face aux enjeux liés à notre modèle d’affaires et la recherche de financement. L’équilibre est parfois délicat car notre objectif principal est de faciliter la collaboration entre les différents acteurs de l’écosystème local afin d’accélérer le passage à échelle de solutions concrètes. Il nous faut donc démontrer notre impact pour obtenir les contrats et financements qui nous permettrons de grandir et ainsi d’avoir un impact plus important encore.

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L’accélération ces dernières années du bouleversement climatique a-t-il eu des répercussions sur votre travail ?

Notre positionnement au cœur de tous ces acteurs qui œuvrent à la fois pour trouver des solutions pour répondre aux enjeux climatiques mais également à la perte de la biodiversité ou encore au développement économique dans les pays émergents, nous amène à être de plus en plus sollicités. Il est important d’identifier rapidement des solutions qui sont capables de changer d’échelle rapidement. Et ensuite de faire collaborer ensemble tous ces acteurs du changement.

 

Quels aspects de votre travail vous paraissent les plus gratifiants ? Y en a-t-il qui le sont moins ?

Découvrir toutes ces innovations incroyables qui existent et la rencontre de toutes ces personnes passionnées lors de nos évènements est effectivement très gratifiant. Aussi le fait de pouvoir les aider à identifier de nouvelles personnes dans leur réseau qui pourront les aider à grandir. Ce qui reste compliqué parfois est le temps qu’il faut pour mettre en place certains projets car certaines organisations ont des procédures très lourdes pour parvenir à un accord.

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Quels sont selon vous les principaux challenges à venir concernant les questions de gestion de l’eau ?

A l’heure actuelle notre mode de consommation n’est pas durable, il nous faut changer notre système de production agricole (agroforesterie, permaculture) et faire en sorte qu’il y ait une meilleure utilisation de la ressource en eau. Il faut aussi s’assurer que la qualité de cette eau ne se dégrade pas car les conséquences sur notre santé peuvent être catastrophiques. Une solution s’appelle la gestion intégrée des ressources en eau (GIRE). Cette approche consiste à améliorer l’accès aux quantités d’eau disponibles pour répondre aux intérêts de la population et son environnement, par exemple : la mise en place d’un système de recyclage pour éviter les gaspillages, l’instauration de contrôle pour limiter la pollution des eaux, l’investissement dans les infrastructures pour augmenter les capacités de stockage.

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Une question plus personnelle. Que conseilleriez-vous à une personne qui voudrait se lancer, comme vous, dans l’entrepreneuriat d’utilité publique ?

Il faut rencontrer les gens, discuter, présenter son projet même si celui-ci n’est pas totalement défini, essayer de comprendre aussi les projets des autres personnes. C’est de cette façon que son projet va se clarifier ou que de nouvelles idées vont émerger. Il ne faut pas avoir peur de dire ce que l’on cherche ou ce que l’on essaie de mettre en place, on fera toujours des rencontres intéressantes de personnes prêtent à aider.

"A l’heure actuelle notre mode de consommation n’est pas durable, il nous faut changer notre système de production agricole (agroforesterie, permaculture) et faire en sorte qu’il y ait une meilleure utilisation de la ressource en eau."

Dernière question : quel message aimeriez-vous adresser aux lecteurs de Muses-mag qui vous découvrent ?

On le voit avec les crises actuelles du covid et de la guerre en Ukraine, tout peut basculer rapidement beaucoup plus vite qu’on ne le pense. Il faut donc dès aujourd’hui passer à l’action et cela passe tout d’abord par soi-même. Est-ce que mon travail et mes actions aux quotidiens sont alignés avec mes valeurs ? Est-ce que je suis épanoui et j’exploite tout mon potentiel ? Ai-je réalisé les rêves que j’avais ? Si l’on a des doutes par rapport à ces questions alors il est sans doute temps dès à présent de réfléchir à un changement. Il ne faut pas avoir peur de franchir le pas car on ne sait pas exactement ce qu’il y aura après. C’est justement cette part d’inconnu qui permet de faire de belles rencontres et de s’engager sur des chemins auxquels on n’avait pas pensé.

 

Encore un grand merci, Franck Barroso, pour cette belle interview.

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