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"(Ré)jouissances artistiques"
une interview de Barbara Polla

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Essayiste, poétesse, médecin, Barbara Polla est la fondatrice d'une des galeries d'art les plus en vue de Genève: Analix Forever. Son parcours éclectique, révélatrice d'une personnalité hors du commun, en fait une figure inspirante. Nous avons eu l'occasion de l'interviewer suite à la sortie de son dernier livre "l'Art est une fête".

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La première question va évidemment se rapporter à votre tout récent livre, «L’art est une fête», paru aux Editions Slatkine. En quoi l’art est-il si festif ?

L’art est festif parce qu’il génère des rencontres authentiques, qualitatives, profondes. Et toute rencontre est une Fête ! Rencontrer les artistes, regarder leurs œuvres, les écouter en parler, transmettre leurs images et leurs messages, c’est un voyage de tous les jours, un voyage à travers les cultures, à travers l’humain, à travers le temps. C’est à chaque fois une découverte. Et à chaque fois je m’interroge : pourquoi, comment devenir artiste ?

C’est également pour la joie de la rencontre que L’Art est une Fête a été écrit et dessiné à quatre mains. Julien Serve est un artiste, un dessinateur extraordinaire, et nous avons travaillé côté à côte pour écrire, pour dessiner ce livre. Pour moi, toute collaboration, tout labeur réalisé en commun, avec des artistes mais aussi, plus largement, avec tout « co-laborateurice », est une fête.

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Sans trop en dévoiler, je peux avancer que le livre est inspirant (par votre parcours et de vos choix), audacieux (notamment quand vous assumez des positions qui peuvent vous attirer les foudres de certaines féministes) et jouissif (chaque page est une rafraîchissante bouffée d’optimisme). Etaient-ce les objectifs visés au moment où vous rédigiez «L’art est une fête»?

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L'art est une fête, de Barbara Polla et Julien Serve

En réalité, au départ, mes objectifs étaient très simples, puis ils se sont complexifiés en cours d’écriture.

Initialement, je voulais raconter une histoire. La raconter simplement, gaiement, dans sa réalité quotidienne, pour emmener les lecteurs à travers cette promenade à la fois épique et festive et partager avec eux mes choix, les difficultés rencontrées, les solutions inventées, tout en rendant hommage aux artistes d’une part et à tous ceux qui m’ont aidée de l’autre.

Au fil de l’écriture sont apparus des objectifs plus graves : expliquer pourquoi l’art est tellement important, pourquoi il est politique, comment il résiste au contrôle social et à la pression économique. Comment il est pionnier aussi. Et comment il déploie ses ailes hors du marché de l’art, à l’ombre des brins d’herbe entre les pavés.

Quant à l’audace – ou la provocation, on me dit souvent que je provoque – ce n’est pas un objectif. La provocation est un effet collatéral, que j’assume, de ma liberté de parole. Je tiens à dire ce que je pense, j’essaie de faire ce que je dis, et c’est souvent provocant, non pas parce que je veux provoquer, mais parce qu’il m’importe d’être authentique.

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Avec Ali Kazma, devant ses oeuvres exposées au MAH-2.png

Copyright : Ali Kazma

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Une œuvre magnifique est pour moi une œuvre qui me bouleverse, qui me fait réfléchir, qui change mon angle de vision, même si elle n’est pas, ou pas avant tout, ce que l’on appellerait classiquement « belle ».

Barbara Polla en compagnie du vidéaste Ali Kazma

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Vous en parlez dans votre livre mais je ne peux m’empêcher de poser la question pour nos lecteurs : qu’est-ce qui pousse une personne à abandonner une brillante carrière de médecin pour ouvrir une galerie d’art ?

On m’a si souvent posé cette question qu’en effet, je commence par elle dans le livre. Longtemps, j’ai répondu qu’il y avait deux liens essentiels entre la médecine et l’art.

Le corps d’abord : le corps est l’objet de tout notre amour, toute notre attention de médecins. Et le corps est partout dans l’art, depuis toujours et forever. Le corps, ce corps avec lequel, à l’intérieur duquel, quel qu’il soit, nous vivons notre vie « terrienne ». Ce corps constamment exploré – disséqué – par les médecins comme par les artistes.

Et puis la mort. La mort est toujours présente, quand on est médecin, et plus encore médecin hospitalier, ce que j’étais. Et la mort est l’interlocuteur premier des artistes : « Les artistes sont les meurtriers de la mort », écrit Pascal Quignard ; leurs œuvres résistent, résistent à la mort, disent Gilles Deleuze et André Malraux.

Mais en écrivant le livre, en réfléchissant plus avant, je crois pouvoir dire que ce qui m’a fait galeriste, c’est mon intérêt passionné pour l’âme humaine. Certes, dans ce cas, il eut semblé logique que le médecin que je suis deviennent psychiatre et psychanalyste. Alors pourquoi suis-je devenue galeriste ? Parce que les artistes, ceux qui m’intéressent, « exposent » leur âme et me la montrent, d’entrée de jeu, en images. Or j’aime les images ! Et l’immédiateté du partage avec les artistes rend ce partage plus dynamique, pour moi, que la pénétration de l’âme humaine par la psychanalyse. En analyse, la découverte des profondeurs de l’âme peut bien prendre sept ans au rythme de trois heures par semaine…

Au vernissage de Pour La galerie, Art et portrait, MAH Genève, le 16 septembre-3.png

Barbara Polla au vernissage de "Pour la galerie", Art et portrait, MAH Genève, le 16 septembre 2021

Les professions de galeriste et de médecin pourraient se rejoindre quand vous donnez conseil à un client par rapport à une œuvre d’art. Peut-on dire que, d’une certaine façon, le client est un peu comme un patient ?

En réalité, s’il y a une comparaison possible, en tant que galeriste, au rapport entre le médecin et ses patients, c’est plutôt avec les artistes. Non pas que les artistes soient des « malades », non pas du tout ! Mais à cause de l’ « anamnèse ». L’anamnèse, c’est l’écoute du patient. Je suis une écouteuse : je faisais de très bonnes anamnèses et aujourd’hui je fais très souvent des interviews d’artistes. Ma première interview d’artiste fut celle de Maurizio Cattelan et on en trouve un extrait dans L’Art est une Fête. J’ai appris tellement en écoutant les artistes.

 

En tant que galeriste, vous avez probablement une certaine conception de la beauté. Comment la définissez-vous et quelle forme de beauté vous émeut ?

Il me semble que la beauté reste, dans l’art contemporain plus encore que dans d’autres domaines, un concept bien difficile à définir, et pour cette raison je parlerais plus volontiers d’authenticité et, justement, d’émotion. L’art contemporain a cette vocation, d’é-mouvoir l’âme du spectateur, de la mettre en mouvement. Une œuvre magnifique est pour moi une œuvre qui me bouleverse, qui me fait réfléchir, qui change mon angle de vision, même si elle n’est pas, ou pas avant tout, ce que l’on appellerait classiquement « belle ». J’ai notamment beaucoup travaillé sur le thème « art et emprisonnement » : comment dire des photographies de détenus, de leurs conditions d’enfermement souvent terribles, qu’elles sont « belles » ? Mais l’art a cette qualité, de permettre la transformation des « images manquantes », parce qu’irregardables, en images qui permettent de penser. La beauté de l’art contemporain ? Un miroir du réel qui permet de le regarder, peut-être ?

Sur le même sujet, intéressons-nous à la beauté des mots. Vous êtes aussi poétesse. Qu’est-ce qui vous conduit à la poésie ?

La bibliothèque de mon père et la musique des mots. Mon père avait une bibliothèque obscure, des livres anciens et d’aujourd’hui – de son aujourd’hui d’alors… – et j’adorais pénétrer dans ce monde, pénétrer les livres, quand mon père n’était pas là. Très tôt mes parents m’ont offert des livres de poésie, j’ai toujours près de moi Le Jardin retrouvé d’Émilie Cuchet Albaret, puis ce seront, dès mes huit ans, Victor Hugo, Prévert – ah les escargots de Prévert… – Baudelaire un peu plus tard, et Virgile que je tentais de traduire en vers à seize ans.

À l’âge de sept ans je récitais ma première poésie (la première poésie que j’avais écrite) en public, dans la salle communale de Thônex, pour la fête de Noël de l’école. Elle parlait de la neige qui tombait sur moi. Peut-être est-ce ce souvenir qui fait que j’aime tant les lectures de poésie à haute voix et en groupe, une autre forme de collaboration que je développe encore aujourd’hui. Commencer une journée en lisant un poème à haute voix donne un rythme de sérénité à cette journée, essayez…

Je crois que la création de toute œuvre d’art résulte d’un « engagement » fort du créateur. Mais cet engagement peut prendre différentes formes, et le premier engagement, le plus important, est celui de l’artiste par rapport à son œuvre.

Il y a sans doute des poètes (et poèmes) qui vous ont marqué. Des sortes d’inspirateurs qui vous ont fait aimé cet art ? Qui sont-ils et en quoi vous ont-ils inspiré ?

Il est un poème de Bertolt Brecht que je n’arrive toujours pas à réciter en entier sans que les larmes ne me viennent. C’est un très long poème intitulé Kinderkreuzzug, une cohorte d’enfants cherchant à fuir la guerre, pendant la deuxième guerre mondiale. Ils finissent tous par disparaître dans la neige, le chien meurt de faim et Brecht voit dans le ciel d’autres cohortes d’enfants encore et encore qui les rejoignent. Sans rémission.

 

Cette année (2021), le Turner Prize, prestigieuse distinction britannique, a misé sur l’art engagé pour désigner ses lauréats. Pensez-vous que de nos jours art et engagement sont devenus indissociables ?

Je crois que la création de toute œuvre d’art résulte d’un « engagement » fort du créateur. Mais cet engagement peut prendre différentes formes, et le premier engagement, le plus important, est celui de l’artiste par rapport à son œuvre. Aujourd’hui, par art engagé on entend art politiquement engagé. Il me semble pourtant que, dans l’art, l’engagement politique ne devrait pas être un étendard – car alors, pourquoi ne pas s’engager en (vraie) politique ? Pourtant, lorsque j’ai quitté la « politique », j’ai choisi de faire de la politique avec l’art : mais la politique que je déploie avec et dans l’art est davantage une politique d’idées, de visions, qu’une politique de terrain. Encore une fois, il s’agit avant tout de donner à penser. La pensée est le meilleur rempart contre la violence des temps.

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Le récent rapport alarmant du GIEC sur l’état de la planète est encore dans les mémoires. Pensez-vous que l’art pourrait contribuer à la sensibilisation quant aux conséquences du réchauffement climatique ?

Oui bien sûr ! Les artistes sont souvent des pionniers et ils le montrent de façon éclatante dans ce que l’on appelle « l’art écologique ». Un art alternativement et tout à la fois critique et créatif : critique de la destruction de nos environnements ; créatifs quant à leur restauration et notre SURvie. Je propose d’ailleurs dès le 24 septembre une exposition intitulée « The Green Path » dans un musée à Perama – une banlieue d’Athènes où je conduis depuis plusieurs années un projet culturel, artistique, écologique et social (https://www.sharingperama.com/ ).

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La Covid, on le sait, a pas mal changé la donne dans le monde de l’art et du spectacle. Comment une galerie, qui est aussi un lieu de vie, s’en sort dans de tels cas ?  

Immédiatement après le début du confinement du printemps 2021, nous avons envoyé une « newsletter » à l’ensemble de nos contacts pour dire que la galerie était ouverte. « WE ARE OPEN » disait-elle : ouverts à vos idées, à vos projets, à de nouvelles rencontres, à des pistes, des propositions et des solutions encore ignorées. Ce message a généré quantité de retours surprenants et de nouvelles pistes de travail.

 

À cause de la pandémie, l’usage du digital se répand à une grande vitesse. Pensez-vous qu’il peut être efficace pour une galerie d’art qui, normalement, est un lieu de rencontre ?

Bien sûr que le digital est efficace, même s’il ne remplace pas la rencontre. Pour certaines galeries, le digital est un excellent outil de ventes. Pour nous, il s’agit surtout de communication. Une communication qui se veut, là encore, proche des artistes : je pense par exemple à la série JE SUIS / I AM, à découvrir parmi nos différents projets sur notre site internet ( https://analixforever.com/projets ).

 

Supposons que demain je veuille quitter ma profession de journaliste indépendant pour devenir galeriste d’art (sait-on jamais) quels seraient vos trois conseils les plus importants et pourquoi ?

1) Tout d’abord, être certain que c’est vraiment ce que vous voulez faire – et même si vous ne savez pas exactement pourquoi, en ressentir une vraie nécessité.

2) Ensuite, avoir le désir d’apprendre, d’apprendre des artistes, et être prêt à abandonner quelques certitudes…

3) Être prêt aussi à assumer que cela « ne marche pas », suivre votre intuition et votre émotion, et travailler dans la durée. Travailler beaucoup…

 

Nous arrivons au terme de cette interview, quel message aimeriez-vous adresser aux lecteurs de Muses-mag qui découvrent Barbara Polla et Analix Forever ?

Oh … Faites-moi la joie de lire L’Art est une Fête, puis venez découvrir !

Venez voir… Viens voir la poésie…

 

Je vous remercie, Barbara, pour cette belle interview.

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